Faute de tests standardisés, l’industrie cosmétique ne peut évaluer précisément la biodégradabilité des substances en mélange. L’attente d’une méthode simple et fiable est forte ; du côté des industriels, qui désirent optimiser l’évaluation de l’impact environnemental de leurs produits ; et du côté des institutions européennes, qui souhaitent rassurer et protéger les populations. Face à ce vide méthodologique, des experts de CAPACITÉS et du laboratoire GEPEA ont développé une nouvelle méthode d’évaluation de la biodégradabilité des matrices complexes, avec le soutien de Tronico et L’Oréal. L’enjeu est de la standardiser, afin de répondre aux exigences économiques, de rapidité et de fiabilité des industriels. Un nouvel équipement de mesure, conçu pour automatiser les tests, est déjà à l’essai. Cette approche innovante est scrutée avec attention par l’ECHA, l’agence européenne des produits chimiques.
Explications avec deux experts de CAPACITÉS : le Pr. Gérald Thouand, chercheur au laboratoire GEPEA, et Mickaël Crégut, ingénieur R&D en biodégradabilité et écotoxicité.
Un bioréacteur automatisé pour faciliter l’évaluation de la biodégradabilité
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Des discussions sont en cours au niveau européen pour encadrer l’évaluation de la biodégradabilité des substances en mélange. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui se profile ?
G. Thouand La réglementation européenne REACH réglemente les substances pures depuis 2008. A terme, les substances en mélange seront elles-aussi encadrées. Nous savons parfaitement que ce ne sont pas des substances pures que l’on trouve dans la nature, mais des mélanges. Une molécule peut être parfaitement biodégradable en laboratoire, et pour autant ne pas être biodégradée lors de son passage en station d’épuration car elle se retrouve parmi des centaines d’autres molécules. C’est ce que j’appelle un « effet cocktail », que personne ne sait évaluer de manière standardisée.
Pour le moment, L’ECHA, l’agence européenne des produits chimiques, préconise d’isoler les molécules et de mesurer la biodégradabilité de chacune d’elle. C’est infaisable, chimiquement et techniquement. Les spécialistes de la biodégradabilité et de l’écotoxicité ne savent pas séparer des centaines de substances d’un mélange, dans un délai et à un coût raisonnable.
Les industriels attendent des laboratoires qu’ils proposent une autre approche, afin d’être force de proposition auprès de l’ECHA. Cette instance cherche à trouver un compromis entre la capacité des industriels à faire évaluer leurs produits, et la certitude que les méthodes d’évaluation sont suffisamment fiables pour protéger les populations.
Vous avez une réponse à apporter aux industriels ?
G. Thouand Oui, depuis 2015 CAPACITÉS et le laboratoire GEPEA développent avec L’Oréal et Tronico une nouvelle approche pour évaluer la biodégradabilité et l’écotoxicité des matrices complexes.
Nous savons qu’après un événement de biodégradation, il peut rester des éléments non consommés. Ces résidus peuvent être constitués de centaines de substances. Nous mesurons de nombreux paramètres, dont la toxicité du mélange final, afin d’évaluer s’il est plus ou moins plus toxique que le mélange initial. S’il n’y a pas d’augmentation de la toxicité, nous qualifions le mélange de biodégradable. C’est ce qu’on appelle le « poids de l’évidence ».
Pour parvenir à ce résultat, nous plaçons dans un réacteur la matrice complexe à évaluer et un volume de microorganismes puisé dans l’environnement. La substance est biodégradée si les microorganismes s’en nourrissent pour se développer : ils prennent de l’oxygène pour oxyder la substance et rejettent du CO2 pour l’intégrer dans leur métabolisme.
M. Crégut Pour évaluer la biodégradabilité d’une substance, il y a donc quatre facteurs à observer : l’oxygène qui baisse, le dioxyde de carbone qui est produit, la biomasse produite et la disparition de la substance. Ces paramètres sont relativement simples à étudier séparément, mais très complexes à mesurer conjointement. Nous sommes parvenus à les associer dans un système d’évaluation unique.
Faire cet exercice sur quatre ou cinq substances est déjà un travail de bénédictin. Le faire sur des centaines de substances nécessiterait un temps infini… Pour pallier cette difficulté, nous avons développé une machine qui réalise les tests de biodégradabilité et d’écotoxicité automatiquement. L’opérateur n’a qu’une seule opération à faire au début. Il laisse ensuite le procédé se dérouler pendant environ 28 jours.
Vous avez intégré votre méthode de testing à une nouvelle machine d’évaluation automatique de la biodégradabilité des mélanges. Pouvez-vous nous en dire plus sur son déploiement industriel ?
M. Crégut C’est une innovation majeure, rendue possible par Tronico, qui a soutenu le laboratoire GEPEA et CAPACITÉS depuis le début du projet, et à L’Oréal qui nous a suivi. Nous avons reçu le premier prototype en décembre 2020. Il est en phase d’évaluation en laboratoire pour le moment. Il sera prochainement envoyé chez Eurofins à Nancy, où des tests seront réalisés sous l’égide de L’Oréal, qui finance l’opération. Cette phase d’expérimentation terrain est essentielle, avant une mise le marché en en 2022.
G. Thouand C’était un vrai challenge de combiner tous les paramètres permettant d’évaluer la biodégradabilité d’une matrice complexe, au sein d’une même machine, de manière automatique et rapide… Nous y sommes parvenus en assemblant de nombreuses technologies déjà maîtrisées. Nous avons miniaturisé chaque opération pour concevoir une machine compacte occupant uniquement 1 m2. Un ingénieur seul peut la manipuler.
L’ECHA est à la recherche d’un compromis entre son besoin de sécurité et la nécessité pour les industriels de disposer d’une méthode applicable à un coût et un délai raisonnable. Votre méthode pourrait-elle être ce compromis ?
M. Crégut Oui c’est possible. En tout cas, nous pourrions faire partie des méthodes préconisées par l’ECHA pour la réalisation de tests de biodégradabilité. Nous avons publié un article dans la revue Green Chemistry avec L’Oréal, présenté à la SETAC Europe en 2019, le congrès mondial sur la biodégradabilité et l’écotoxicité. Nous sentons que notre approche commence à faire consensus.
C’est une méthode d’évaluation pertinente, qui est acceptable d’un point de vue économique, tout en répondant à des enjeux écologiques primordiaux. Le citoyen a besoin de transparence, c’est normal. L’industriel doit s’y retrouver aussi.
Pour en savoir plus sur notre expertise en biodégradabilité et écotoxicité, découvrez notre page dédiée ou contactez-nous directement.
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